Parents, conversions, coercitions#
Cette section peut paraître plus technique que celles qui précèdent, mais nous pensons qu’il est important de comprendre ce que sont les parents et les coercitions pour utiliser comme il faut les structures algébriques fournies par Sage.
Nous allons voir ici ce que ces notions signifient, mais pas comment les mettre en œuvre pour implémenter une nouvelle structure algébrique. Un tutoriel thématique couvrant ce point est disponible ici.
Éléments#
Une première approximation en Python de la notion mathématique d’anneau
pourrait consister à définir une classe pour les éléments X
de l’anneau
concerné, de fournir les méthodes « double-underscore » nécessaires pour donner
un sens aux opérations de l’anneau, par exemple __add__
, __sub__
et
__mul__
, et naturellement de s’assurer qu’elles respectent les axiomes de
la structure d’anneau.
Python étant un language (dynamiquement) fortement typé, on pourrait s’attendre
à devoir implémenter une classe pour chaque anneau. Après tout, Python définit
bien un type <int>
pour les entiers, un type <float>
pour les réels, et
ainsi de suite. Mais cette approche ne peut pas fonctionner : il y a une
infinité d’anneaux différents, et l’on ne peut pas implémenter une infinité de
classes !
Une autre idée est de créer une hiérarchie de classes destinées à implémenter les éléments des structures algébriques usuelles : éléments de groupes, d’anneaux, d’algèbres à division, d’anneaux commutatifs, de corps, d’algèbres, etc.
Mais cela signifie que des éléments d’anneaux franchement différents peuvent avoir le même type.
sage: P.<x,y> = GF(3)[]
sage: Q.<a,b> = GF(4,'z')[]
sage: type(x)==type(a)
True
On pourrait aussi vouloir avoir des classes Python différentes pour fournir plusieurs implémentations d’une même structure mathématique (matrices denses contre matrices creuses par exemple).
sage: P.<a> = PolynomialRing(ZZ)
sage: Q.<b> = PolynomialRing(ZZ, sparse=True)
sage: R.<c> = PolynomialRing(ZZ, implementation='NTL')
sage: type(a); type(b); type(c)
<class 'sage.rings.polynomial.polynomial_integer_dense_flint.Polynomial_integer_dense_flint'>
<class 'sage.rings.polynomial.polynomial_ring.PolynomialRing_integral_domain_with_category.element_class'>
<class 'sage.rings.polynomial.polynomial_integer_dense_ntl.Polynomial_integer_dense_ntl'>
Deux problèmes se posent alors. D’une part, si deux éléments sont instances de
la même classe, on s’attend à ce que leur méthode __add__
soit capable de
les additionner, alors que ce n’est pas ce que l’on souhaite si les éléments
appartiennent en fait à des anneaux différents. D’autre part, si l’on a deux
éléments qui appartiennent à des implémentations différentes d’un même anneau,
on veut pouvoir les ajouter, et ce n’est pas immédiats s’ils ne sont pas
instances de la même classe.
La solution à ces difficultés est fournie par le mécanisme de coercition décrit ci-dessous.
Mais avant tout, il est essentiel que chaque élément « sache » de quoi il est
élément. Cette information est donnée par la méthode parent()
.
sage: a.parent(); b.parent(); c.parent()
Univariate Polynomial Ring in a over Integer Ring
Sparse Univariate Polynomial Ring in b over Integer Ring
Univariate Polynomial Ring in c over Integer Ring (using NTL)
Parents et catégories#
En plus d’une hiérarchie de classes destinée à implémenter les éléments de structures algébriques, Sage fournit une hiérarchie similaire pour les structures elles-mêmes. Ces structures s’appellent en Sage des parents, et leurs classes dérivent d’une même classe de base. Celle-ci a des sous-classes « ensemble », « anneau », « corps », et ainsi de suite, dont la hiérarchie correspond à peu près à celle des concepts mathématiques qu’elles décrivent :
sage: isinstance(QQ,Field)
True
sage: isinstance(QQ, Ring)
True
sage: isinstance(ZZ,Field)
False
sage: isinstance(ZZ, Ring)
True
Or en algèbre, on regroupe les objets qui partagent le même genre de structure algébrique en ce que l’on appelle des catégories. Il y a donc un parallèle approximatif entre la hiérarchie des classes de Sage et la hiérarchie des catégories. Mais cette correspondance n’est pas parfaite, et Sage implémente par ailleurs les catégories en tant que telles :
sage: Rings()
Category of rings
sage: ZZ.category()
Join of Category of euclidean domains
and Category of infinite enumerated sets
and Category of metric spaces
sage: ZZ.category().is_subcategory(Rings())
True
sage: ZZ in Rings()
True
sage: ZZ in Fields()
False
sage: QQ in Fields()
True
Tandis que la hiérarchie des classes est déterminée avant tout par des considérations de programmation, l’infrastructure des catégories cherche plutôt à respecter la structure mathématique. Elle permet de munir les objets d’une catégorie de méthodes et de tests génériques, qui ne dépendent pas de l’implémentation particulière d’un objet donné de la catégorie.
Les parents en tant qu’objets Python doivent être uniques. Ainsi, lorsqu’un anneau de polynômes sur un anneau donné et avec une liste donnée de générateurs est construit, il est conservé en cache et réutilisé par la suite :
sage: RR['x','y'] is RR['x','y']
True
Types et parents#
Le type RingElement
ne correspond pas parfaitement à la notion
mathématique d’élément d’anneau. Par exemple, bien que les matrices carrées
appartiennent à un anneau, elles ne sont pas de type RingElement
:
sage: M = Matrix(ZZ,2,2); M
[0 0]
[0 0]
sage: isinstance(M, RingElement)
False
Si les parents sont censés être uniques, des éléments égaux d’un parent ne sont pas nécessairement identiques. Le comportement de Sage diffère ici de celui de Python pour certains entiers (pas tous) :
sage: int(1) is int(1) # Python int
True
sage: int(-15) is int(-15)
False
sage: 1 is 1 # Sage Integer
False
Il faut bien comprendre que les éléments d’anneaux différents ne se distinguent généralement pas par leur type, mais par leur parent :
sage: a = GF(2)(1)
sage: b = GF(5)(1)
sage: type(a) is type(b)
True
sage: parent(a)
Finite Field of size 2
sage: parent(b)
Finite Field of size 5
Ainsi, le parent d’un élément est plus important que son type du point de vue algébrique.
Conversion et coercition#
Il est parfois possible de convertir un élément d’un certain parent en élément d’un autre parent. Une telle conversion peut être explicite ou implicite. Les conversions implicites sont appelées coercitions.
Le lecteur aura peut-être rencontré les notions de conversion de type et de coercition de type dans le contexte du langage C par exemple. En Sage, il existe aussi des notions de conversion et de coercition, mais elles s’appliquent aux parents et non aux types. Attention donc à ne pas confondre les conversions en Sage avec les conversions de type du C !
Nous nous limitons ici à une brève présentation, et renvoyons le lecteur à la section du manuel de référence consacrée aux coercitions ainsi qu’au tutoriel spécifique pour plus de détails.
On peut adopter deux positions extrêmes sur les opérations arithmétiques entre éléments d’anneaux différents :
les anneaux différents sont des mondes indépendants, et l’addition ou la multiplication entre éléments d’anneaux différents n’ont aucun sens ; même
1 + 1/2
n’a pas de sens puisque le premier terme est un entier et le second un rationnel ;
ou
si un élément
r1
d’un anneauR1
peut, d’une manière ou d’une autre, s’interpréter comme élément d’un autre anneauR2
, alors toutes les opérations arithmétiques entrer1
et un élément quelconque deR2
sont permises. En particulier, les éléments neutres de la multiplication dans les corps et anneaux doivent tous être égaux entre eux.
Sage adopte un compromis. Si P1
et P2
sont des parents et si p1
est
un élément de P1
, l’utilisateur peut demander explicitement comment P1
s’interprète dans P2
. Cela n’a pas forcément de sens dans tous les cas, et
l’interprétation peut n’être définie que pour certains éléments de P1
;
c’est à l’utilisateur de s’assurer que la conversion a un sens. Cela s’appelle
une conversion :
sage: a = GF(2)(1)
sage: b = GF(5)(1)
sage: GF(5)(a) == b
True
sage: GF(2)(b) == a
True
Cependant, une conversion implicite (c’est-à-dire automatique) n’est possible que si elle peut se faire systématiquement et de manière cohérente. Il faut ici absolument faire preuve de rigueur.
Une telle conversion implicite s’appelle une coercition. Si une coercition est définie entre deux parents, elle doit coïncider avec la conversion. De plus, les coercitions doivent obéir aux deux conditions suivantes :
Une coercition de
P1
dansP2
doit être un morphisme (par exemple un morphisme d’anneaux). Elle doit être définie pour tous les éléments deP1
, et préserver la structure algébrique de celui-ci.Le choix des applications de coercition doit être fait de manière cohérente. Si
P3
est un troisième parent, la composée de la coercition choisie deP1
dansP2
et de celle deP2
dansP3
doit être la coercition deP1
dansP3
. En particulier, s’il existe des coercitions deP1
dansP2
et deP2
dansP1
, leur composée doit être l’identité surP1
.
Ainsi, bien qu’il soit possible de convertir tout élément de GF(2)
en un
élément de GF(5)
, la conversion ne peut être une coercition, puisque il
n’existe pas de morphisme d’anneaux de GF(2)
dans GF(5)
.
Le second point — la cohérence des choix — est un peu plus compliqué à expliquer. Illustrons-le sur l’exemple des anneaux de polynômes multivariés. Dans les applications, il s’avère utile que les coercitions respectent les noms des variables. Nous avons donc :
sage: R1.<x,y> = ZZ[]
sage: R2 = ZZ['y','x']
sage: R2.has_coerce_map_from(R1)
True
sage: R2(x)
x
sage: R2(y)
y
En l’absence d’un morphisme d’anneau qui préserve les noms de variable, la coercition entre anneaux de polynômes multivariés n’est pas définie. Il peut tout de même exister une conversion qui envoie les variables d’un anneau sur celle de l’autre en fonction de leur position dans la liste des générateurs :
sage: R3 = ZZ['z','x']
sage: R3.has_coerce_map_from(R1)
False
sage: R3(x)
z
sage: R3(y)
x
Mais une telle conversion ne répond pas aux critères pour être une coercition :
en effet, en composant l’application de ZZ['x','y']
dans ZZ['y','x']
avec celle qui préserve les positions de ZZ['y','x']
dans ZZ['a','b']
,
nous obtiendrions une application qui ne préserve ni les noms ni les positions,
ce qui viole la règle de cohérence.
Lorsqu’une coercition est définie, elle est souvent utilisée pour comparer des
éléments d’anneaux différents ou pour effectuer des opérations arithmétiques.
Cela est commode, mais il faut être prudent en étendant la relation d’égalité
==
au-delà des frontières d’un parent donné. Par exemple, si ==
est
bien censé être une relation d’équivalence entre éléments d”un anneau, il
n’en va pas forcément de même quand on compare des éléments d’anneaux
différents. Ainsi, les éléments 1
de ZZ
et d’un corps fini sont
considérés comme égaux, puisqu’il existe une coercition canonique des entiers
dans tout corps fini. En revanche, il n’y a en général pas de coercition entre
deux corps finis quelconques. On a donc
sage: GF(5)(1) == 1
True
sage: 1 == GF(2)(1)
True
sage: GF(5)(1) == GF(2)(1)
False
sage: GF(5)(1) != GF(2)(1)
True
De même, on a
sage: R3(R1.1) == R3.1
True
sage: R1.1 == R3.1
False
sage: R1.1 != R3.1
True
Une autre conséquence de la condition de cohérence est que les coercitions ne
sont possibles que des anneaux exacts (comme les rationnels QQ
) vers les
anneaux inexacts (comme les réels à précision donnée RR
), jamais l’inverse.
En effet, pour qu’une conversion de RR
dans QQ
puisse être une
coercition, il faudrait que la composée de la coercition de QQ
dans RR
et de cette conversion soit l’identité sur QQ
, ce qui n’est pas possible
puisque des rationnels distincts peuvent très bien être envoyés sur le même
élément de RR
:
sage: RR(1/10^200+1/10^100) == RR(1/10^100)
True
sage: 1/10^200+1/10^100 == 1/10^100
False
Lorsque l’on compare des éléments de deux parents P1
et P2
, il peut
arriver qu’il n’existe pas de coercition entre P1
et P2
, mais qu’il y
ait un choix canonique de parent P3
tel que P1
et P2
admettent tous
deux des coercitions dans P3
. Dans ce cas aussi, la coercition a lieu. Un
exemple typique de ce mécanisme est l’addition d’un rationnel et d’un polynôme
à coefficients entiers, qui produit un polynôme à coefficients rationnels :
sage: P1.<x> = ZZ[]
sage: p = 2*x+3
sage: q = 1/2
sage: parent(p)
Univariate Polynomial Ring in x over Integer Ring
sage: parent(p+q)
Univariate Polynomial Ring in x over Rational Field
Notons qu’en principe, on aurait très bien pu choisir pour P3
le corps des
fractions de ZZ['x']
. Cependant, Sage tente de choisir un parent commun
canonique aussi naturel que possible (ici QQ['x']
). Afin que cela
fonctionne de façon fiable, Sage ne se contente pas de prendre n’importe
lequel lorsque plusieurs candidats semblent aussi naturels les uns que les
autres. La manière dont le choix est fait est décrite dans le tutoriel
spécifique déjà mentionné.
Dans l’exemple suivant, il n’y a pas de coercition vers un parent commun :
sage: R.<x> = QQ[]
sage: S.<y> = QQ[]
sage: x+y
Traceback (most recent call last):
...
TypeError: unsupported operand parent(s) for +: 'Univariate Polynomial Ring in x over Rational Field' and 'Univariate Polynomial Ring in y over Rational Field'
En effet, Sage refuse de choisir entre les candidats QQ['x']['y']
,
QQ['y']['x']
, QQ['x','y']
et QQ['y','x']
, car ces quatre structures
deux à deux distinctes semblent toutes des parents communs naturels, et aucun
choix canonique ne s’impose.